Bruno Toumeyragues :
En effet, je me suis entrainé pendant près de 2 mois à faire plus de 100 kms par semaine en 4 à 5 séances mais je faisais surtout des longues distances sans pause autre que de boire quelques gorgées d'eau et tester différents types de barres énergétiques. J'ai donc fait des semi-marathons, des 2 heures voire un marathon à la vitesse que j'escomptais faire pour le 100 kms, tout ceci au plus bas de la puissance (1), soit un drag de 80.
N'ayant pas de repère autre que le record qu'avait réalisé Jean-Charles l'année dernière sur 100 kms également, j'avais élaboré la théorie suivante : je pouvais faire un 10 kms à 1:57mn aux 500 de moyenne, un semi-marathon à 2:02 mn aux 500 de moyenne (pauses incluses) et j'avais fait un marathon à 2:07,6 de moyenne.... que je pourrais faire un 100kms à 2:12 aux 500 de moyenne mais hors pause (rajoutant 5 s aux 500 pour chaque doublement de la distance!)
Bref, donc je m'étais fixé 2:12 mn aux 500 hors pause, que je comptais faire tous les 5000 m en buvant 20-25cl d'eau et manger une demi-barre énergétique...
Tout ceci rodé pendant de nombreuses heures d'entrainement les 2 mois précédents (à savoir que je pratique le rameur en salle depuis 12 ans à raison de 3 à 4 fois par semaine, mais je me suis cantonné pendant longtemps à des séances de 10,000 m seulement)
Le matin du 12 avril, 3 heures avant de me lancer, j'ai avalé un plat de pâtes puis me suis dirigé vers la salle de sport de Meylan Fitness pour mettre en place mon ravitaillement et mes équipements. A 9h, je me suis lancé et tout s'est déroulé correctement pendant la durée du marathon auquel je m'étais déjà entrainé, j'étais même légèrement en avance sur mon plan de marche car j'avais raccourci le temps de pause aux 5000 en continuant de ramer d'une main pendant que je me ravitaillais de l'autre.
Puis à partir de 42 kms, grand coup de mou, plus possible de tourner à 2:12 aux 500 et je tombe à 2:16
Jean-Charles m'avait prévenu de faire attention à l'euphorie des 50 kms et de ne pas m'épuiser inutilement en croyant être presque arrivé.... En fait, je n'ai pas ressenti d'euphorie du tout, aux 50 kms, j'avais le dos qui commençait à me faire mal et ai eu un nouveau coup de mou et mon allure a chuté à 2:20 - 2:26 selon que j'étais plus ou moins éloigné d'un ravitaillement....
Sachant qu'il me restait plus de 4 heures à accomplir et que je n'allais pas atteindre mon objectif de faire moins de 8 h, j'ai failli abondonner, jusqu'à ce que je me persuade que peu importait le temps final, il fallait que je finisse....
J'ai donc vécu un calvaire de 50 à 90 kms pendant lequel je me suis demandé ce que je faisais là et à quoi ça servait etc, etc..... Puis aux 90 kms j'ai commencé à croire que j'allais le finir ce maudit 100 kms et que je battrais le record existant et que ce n'était déjà pas si mal....
Voilà. Le plus surprenant, c'est que le lendemain, j'étais un peu courbatu mais le mal de dos avait disparu et que 48 heures après je me portais comme un charme.... J'ai repris l'ergo doucement au bout de 72h !
JF Hillion
Voici donc l’essentiel de l’essentiel…
Présentation de l’épreuve :
Le 100 km solo est une distance extrêmement « énergivore » et qui ne fait aucune concession au sportif. Lorsque le rameur descend de "l’ergo", il doit assurer ses premiers pas, il porte sur le front une barre de sel, …la marque du galérien.
La préparation de l'épreuve :
Les mots importants de l’épreuve sont « préparation, endurance, maîtrise, santé, conscience, risque, coeur, pendule, mètres, adrénaline, fatigue, technique, réglage, souplesse, régularité, détermination, bonheur ».Ma préparation physique consiste dans un entraînement diversifié et régulier, spécifique aviron (plus de 1000 km par an en moyenne) « indoor » et « on water ». L’usage du « logbook » Concept2 (au départ je notais mes entraînements dans un classeur EXCEL) me permet de me construire un système personnel de repères , d’apprendre à me connaître sur chacune des épreuves répertoriées (du 500 m au 100 km).
Sur l’ergo, je pratique régulièrement les épreuves classiques du 5000 m et du 10000 m, relativement accessibles pour taquiner le chrono.
Mes parcours préférés (mais plus gourmands en temps et en énergie) sont « l’heure », le «semi», et le « marathon ».
Suivant le temps, l’énergie disponible, ou l’objectif de l’entraînement, je pratique un «drag factor» faible (4-5), intermédiaire (7), ou élevé (10).
Un « df » faible permet de ramer longtemps, de monter aisément en cadence, mais peut à l’excès, conduire à réduire considérablement le temps moyen au 500 m.
Un « df » fort simule un bateau lourd que l’on déplace en puissance, sans pouvoir monter en cadence.
Le « df » est au rameur ce que le dérailleur est au vélo …. Reste à choisir le « braqué » optimum qui permettra d’économiser le physique, de tenir la distance, d’exprimer le rendement attendu, tout en réalisant le meilleur « chrono »
En bateau, pour avaler des kilomètres…. J’affectionne particulièrement pour la préparation du 100 km, le « quatre », le « huit »…. et le skiff-canoé ERDEL. Ce sont des bateaux relativement stables, polyvalents, qui peuvent évoluer sur des plans d’eau libres et non parfaits.
Et la cadence ?....une cadence faible limite le chrono, une cadence élevée, synonyme de « tours moteurs » augmente le rythme cardiaque, la température du rameur, la déshydratation, et la consommation d’énergie.
Pas facile de s’y retrouver, globalement le rameur doit assurer un rendement moyen au 500 m suffisant, consommer modérément, ne pas exploser le moteur (épuisement, tétanisation, crampe, anaérobie) et marquer les pauses techniques suffisantes …. Il n’existe pas de compromis universel qui conviendrait à tous les rameurs, chacun doit rechercher, tester, affiner le meilleur compromis adapté à son profil …
Les petits « plus » pendant l’épreuve…. protégez votre cher fessier, économisez vos mains sans mettre de gants, talquez si nécessaire…
13 avril 2014…Top départ… et résumé de la course…
Pesée ½ heure avant la course (8 h 30 heure d’hiver),… pas de surprise, depuis toujours je suis PL, …départ dans 30 minutes.
Au programme, 100000 mètres, vingt étapes (choix retenu), hydratation (juste de l’eau plate pour moi, merci) et alimentation à chaque étape.
Mangez simple, habituel, calorique et facile à digérer, surtout pas d’innovation….attention la digestion elle-même est consommatrice d’énergie, donc pas d’excès.
100000 m ….Les premiers kilomètres se déroulent sans encombre. Après de multiples calculs, projections et simulations sur « tableur », j’ai décidé qu’il était temps de me lâcher dans l’aventure. J’ai fait le choix délibéré pour la première édition de ne pas m’imposer de guide d’allure (« paceboat »).
90000… 80000 … 75000,… le rythme est correct, en confort, le marathon est encore loin…
70000 … c’est long, cela n’avance pas…., je n’ose pas regarder les intervalles de la pendule qui restent à parcourir… envie d’accélérer, je connais la distance marathon, je peux l’avaler sans problème…
60000… ramer, ramer,… bientôt un marathon, 58000…. Le passage du premier marathon me donne de l’oxygène, bientôt … la bascule à mi-parcours, 55000… encore 5000 m, je m’imagine gravir un col, bientôt cela va redescendre…
49999… euphorie passagère, la première moitié est parcourue, …..4h20 se sont écoulées, il en reste au moins autant, … à chaque pause je laisse un peu de temps, encore au moins un marathon et plus si affinité, j’ai l’impression d’avoir parcouru l’aller, je m’imagine être sur le chemin du retour. C’est insensé, j’ai parcouru 50 km et je n’ai pas mal dans les bras, c’est plutôt bon signe,… pause technique, …
Petit délice à mi-course, déguster un yaourt nature…
En repartant, je ne sais pas s’il convient de regarder la pendule qui n’avance pas ou le moniteur de l’ergo qui peine à égrainer les mètres, le doute se mêle à l’euphorie….… je retourne dans ma bulle…
45000… bientôt plus qu’un marathon, le chemin qui reste, je le connais….
42000… moins qu’un marathon, je tiens le « bon bout », 35000… , 30000…résister, ne pas risquer la crampe, ce serait la catastrophe, bien gérer la descente vers les kilomètres «raisonnables »…
21097… il me reste, je n’en reviens pas, un semi-marathon à parcourir, l’entraînement a du bon, il m’a permis d’apprivoiser les distances…
Le chiffre des vingt mille disparaît, la magie opère, je suis revenu dorénavant sur un terrain connu… encore un effort et je vais « entrer » dans la dernière heure…
15000…,… 12000… encore 3 bassins…, 10000 …encore ¾ d’heure à tenir, petit point rapide,… je peux terminer en moins de 9 heures, je possède 900 m d’avance, …gérer l’arrivée, je parviens à faire le point toutes les 5 minutes, c’est bon signe, je ne suis pas trop fatigué, 870 m d’avance, 850 m, ça tient, ça va passer…
5000…., je suis bien, j’accélère juste un peu pour me donner confiance, rester dans le tempo, si près de l’arrivée, commencer à savourer, 4000…. reste un bassin d’aviron, je suis sur le plan d’eau, je passe le pont, je monte à « l’Ecorcheveau » et je redescends, incroyable je suis à l’entraînement, savoure et ne pense à rien d’autre, …. Le bonheur est là à portée d’aviron, bientôt, le klaxon de l’arrivée va retentir dans ma tête, je passe sur la berge le ticket de métro qui marque le dernier 1000m…
999m…900… 800… 600… plaisir suprême des dernières encablures… 400… 200.. 100… 50….
….. 2 tractions… 1 traction….. 0 mètre… PHOTO…. I JUST DO IT !!!
….. j’ai parcouru les 100 km en 8 heures 56 minutes 8 secondes et 9 dixièmes…. Enorme sensation…
…. A 54 ans, …je viens d’établir ce jour, le premier record de France du 100 km dans la catégorie des 50-59 ans PL… je sais, ce n’est qu’un jeu… plaisir immense… instant magique…
… je suis fatigué et heureux… je l’ai fait… juste pour le plaisir de ramer… I JUST ROW IT !!!
…. Ce soir, j’ai l’estomac noué, j’avale un bouillon, impossible d’avaler plus, j’attends le sommeil, il ne vient pas, je revis ma journée…sur un ergo.
Merci à mon épouse et à ma famille qui me « supportent », à l’équipe CONCEPT2 France, à mon club le COTS AVIRON, et à vous tous amis FIRTIENS, FIRTIENNNES, qui animez de si belle façon la … VIRTUAL RIVER !!!
A bientôt,… pour d’autres aventures…
Propos recueillis par email